Une scop ? Ça marchera jamais votre truc !

Auprès de mes proches, après quelques échanges à l’Université Catholique de Lille ou régulièrement, lors de conférence, à l’évocation du statut des Tilleuls, une SCOP, les premières réactions sont toujours les mêmes :

Ça ne pourra pas marcher votre machin quand vous grossirez.

De toutes façons, votre truc, c’est juste une utopie gauchiste.

Pour replacer les choses dans leur contexte, je vais revenir brièvement sur ce qui définit cette forme d’entrepreneuriat collaboratif. Une Scop, c’est une entreprise comme les autres où les décisions importantes sont prises par un collectif d’actionnaires plus ou moins nombreux. La différence c’est que chez Les-Tilleuls, tous les employés sont amenés à devenir collaborateurs et qu’aucun actionnaire externe ne peut devenir majoritaire. Comprenez par là que toutes les décisions : de stratégie, de gestion du personnel, de définition de budget, de salaire, de vie commune, absolument toutes les décisions importantes passent par moi… et les autres collaborateurs bien entendu. Bien évidemment, tout le monde n’est pas d’accord et certains débats houleux peuvent donner lieu à des échanges musclés… Musclés, oui, mais transparents, sains et très constructifs… si si, je vous assure, c’est possible et ça change tout.

Que se passera-t’il quand nous grandirons ? On posait déjà la question aux Tilleuls alors qu’ils n’étaient que trois. Nous sommes aujourd’hui cinquantes. Cinquantes… Toujours vivants, toujours debout (il fallait bien une référence pseudo communo-anarchiste pour donner raison aux rageux). Nous avons déjà cinq antennes, aussi notre futur, pourrait passer par la mise en place d’un système de votes par groupe : un groupe restreint de collaborateurs prend une décision sur un sujet donné et choisit un représentant pour défendre cet avis auprès des représentants des autres groupes. À terme, si l’entreprise est immense, ce processus pourrait être itéré plusieurs fois jusqu’à obtention d’une décision finale. L’objectif étant de conserver, à chaque étape, un nombre de votants productif et cohérent. Ceci n’est qu’un exemple et les possibilités sont nombreuses, la bonne nouvelle étant que nous choisirons nous-même celle qui nous correspond le mieux. Vous n’y croyez pas une seconde ? Rassurez moi, vous n’avez pas prévu de vous enfermer dans un isoloir prochainement ? Si c’est le cas j’ai du mal à comprendre car je vous parle ici d’un processus réellement démocratique où les représentants changent à chaque fois en fonction des sujets et des décisions et vous le mettez en doute pour défendre la farce démocratique dans laquelle nous sommes enfermés ? Toujours pas convaincus ? Vous êtes durs en affaires, vous. Dans ce cas, j’imagine que vous parler de réussites telles qu’UTB ou le thé éléphant ne vous fera pas changer d’avis ?

A quel point l’Homme a-t’il été formaté pour croire aujourd’hui que les gens sont incapables d’être autonomes, de penser, de créer et d’entreprendre par eux-mêmes ? Comment peut-on craindre d’avoir plus de libertés et plus de responsabilités ? Quand l’Homme a-t’il cessé de croire en ses congénères pour s’abriter dans le confort des directives ?

Pour les gens qui m’ont posé cette question et ceux qui me la poseront à l’avenir, laissez-moi vous la retourner. La plupart des salariés vivent aujourd’hui dans de petites entreprises avec un patron. Cette personne peut — tout le monde n’abuse pas de ce pouvoir — prendre des décisions pour dix personnes sans concertation. Elle a le droit de vie et de mort (professionnelle… quoique) sur ce petit groupe et du jour au lendemain peut décider de vendre, de changer de stratégie, d’adresse, de pays…

“Bon, ça marche avec dix employés votre truc mais quand vous serez 40, 500, 20000, les gens ne pourront pas accepter ça quand même : une seule personne, qui ne vous connaît pas ou plus et qui prendrait des décisions à votre place… des décisions qui ne collent absolument pas à vos besoins, à vous, les personnes qui font tourner cette société… Vous vous rebellerez non ? Votre machin là, ça ne marchera pas quand vous grossirez ? Si ? Ah !”

Au final, de vous à moi, qui est le plus fou ? L’Homme empreint de liberté ou celui qui y a renoncé ?